[Lift 11] La revanche du réel

Lift 2011 était placé sous le signe de la radicalité, une édition plus politique que les précédentes, dont les thèmes se répartissaient ainsi : Urban, Care, Work/Learn, Slow, Open.

Alain Renk

De toutes ces interventions je retiendrai une idée : la revanche du réel. L’innovation ne se dirige plus seulement vers un monde fantasmé, où l’homme ne serait plus vraiment l’homme, le monde serait virtualisé. La radicalité aujourd’hui se situe dans le retour au réel, voire au naturel. Le vingtième siècle a été marqué par une fuite en avant technique et technologique, la production de masse agricole et industrielle, la croissance et la consommation comme Graal collectif. Internet à ses débuts s’inscrivait dans cette logique « très XXème siècle ». Nous sommes en 2011, il n’est pas trop tard pour entrer dans le XXIème siècle.

Déjà, le mot virtuel n’a plus de sens, s’il en a eu un jour. J’ai souvent été frappé par la manière dont est perçu le web : comme une réalité parallèle, autonome, qui n’aurait pas de lien avec la société, comme si il y avait « nous » et « eux », ces gens du « grand Internet mondial ». A cette dichotomie, souvent manichéenne, je préfère les termes plus pertinents de « réel physique » et « réel numérique », utilisés par Alain Renk dans son intervention. Les réseaux Internet ne sont que les interactions numériques de systèmes humains.

Saskia Sassen sur les « smart cities »

Saskia Sassen parle de ville open-source, une ville logiciel que l’on doit laisser ouverte au hacking. L’idée n’est pas d’être contre l’utilisation des technologies, mais de laisser place à la logique de l’utilisateur, qui n’est pas celle de l’ingénieur. Nous devons nous inspirer de l’exemple du parc de Riverside à New-York : le quartier était devenu dangereux, son parc également. Les habitants prirent des chiens de compagnie pour se protéger. Avoir un chien suppose de le sortir, le parc était le seul endroit approprié. De fil en aiguille, les habitants, en promenant leurs chiens, ont reconquis l’espace : le parc est devenu à nouveau fréquentable. Un ingénieur n’aurait pas pensé à donner des chiens aux habitants, il aurait certainement proposé un réseau de vidéosurveillance, par exemple.

Robin Chase

La logique de l’utilisateur contre celle de l’ingénieur devient celle du consommateur contre celui du producteur. Les dernières innovations marque le retour aux fondamentaux : le numérique permet aux citoyens de s’organiser pour produire et partager de manière autonome. Les exemples sont aujourd’hui légions couchsurfing, hospitatility club, ebay, leboncoin, covoiturage.fr ou le dernier né laruchequiditoui (voir le billet Consommez qu’ils disaient). On parle pour ces services de consommation collaborative, il faudrait lui préférer le terme de « produconsommation collaborative » : chacun devient producteur et consommateur. Robin Chase, fondatrice de BuzzCar, service de location de véhicules entre particuliers, parle d’un système qui ne serait plus seulement celui des gouvernements et des compagnies privées, mais celui des « autopreneurs » (à ne pas confondre avec les autoentrepreneurs).

Geoffrey Mulgan

Le crowdsourcing et le triomphe de l’amateur ont marqué cette décennie. Des dizaines de projets à travers le monde se sont inscrits et s’inscrivent encore dans cette logique. Geoffrey Mulgan rappelle qu’une tension perdure entre ceux qui ont peur de la technologie, du contrôle des foules : la hiérarchie, et ceux qui voit Internet comme l’eden qui nous libérerait de toute forme de hiérarchie, par les réseaux ouverts. Posant la hiérarchie comme la synthèse, les réseaux ouverts comme l’antithèse, Geoffrey Mulgan pose la question de la synthèse. La réponse selon lui se situe dans un équilibre entre le public et le privé, l’amateur et l’expert, l’ouverture et la fermeture.

Le slow a sa manière marque la revanche du réel. Un atelier était proposé vendredi matin, animé par Charles Népote, avec pour thème Slow/Fast. Penser le slow comme un sujet de recherche, comment utiliser le numérique pour trouver l’équilibre entre slow et fast. Parmi les thèmes abordés, les questions du recours à la sagesse populaire et à l’histoire, la prise en compte de la nature ont été importantes. L’apologie puis l’overdose du fast sont souvent le fait d’un reniement de la nature. En matière agricole, l’assolement triennal a laissé place au toujours plus d’engrais, jusqu’à la mort des terres arables. Individuellement, l’overdose informationnelle, l’incapacité à déconnecter (pas seulement du web) mènent à un oubli de soi et de son corps, qui tôt ou tard occasionne des problèmes de santé. Là où le sportif doit ménager des pauses (ou sa monture), pour rester efficace, le travailleur intellectuel doit lui aussi préserver des espaces libres, déconnectés ou occupés autrement pour permettre le repos, la fermentation des idées, puis la créativité. Nous ne sommes que de chair et d’os, partis d’un tout : la nature, qui a ses règles.


Kris De Decker

Kris De Decker, fondateur de Low Tech Magazine, dans son intervention appelle au retour aux cycles. L’idée n’est pas d’être contre l’innovation et les nouvelles technologies, mais pour une prise en compte des cycles naturels et de la tradition dans l’innovation. En terme de durabilité (sustainability), les réponses que l’on donne aujourd’hui sont les mauvaises, l’éco-technologie a ses mythes. Face au peak oil, toutes les solutions de remplacement sont basées sur les énergies fossiles. Poser des sparadraps et des patchs marche un moment, jusqu’à ce que ceux-ci s’usent ou se détruisent. L’idée est de combiner les nouvelles technologies avec des concepts traditionnels pour être plus efficace à long terme.

Plutôt que de créer des systèmes de stockage d’énergie, qu’elle soit solaire ou hydraulique, c’est sur l’utilisation immédiate de l’énergie qu’il faut se pencher. Travailler au rythme des cycles de la nature ne veut pas dire revenir à l’âge de pierre, mais constitue bien l’innovation du futur. C’est vers là selon Kris De Decker qu’il faut aller, il faut innover techniquement, créer des processus industriel afin de revoir la politique énergétique, ne plus dépendre du passé – les énergies fossiles -, mais vivre au présent et au futur.

John Thackara avait parlé d’atterrissage en douceur il y a trois ans à Lift 2009, comme alternative à la croyance dans le tout technologique d’une part, à la vie sauvage, en autarcie dans la montagne d’autre part. En 2011, il s’agit de radicalité, l’innovation radicale réside dans le retour à l’humain, la synthèse des expériences de l’histoire et du boum productiviste et technologique du XXème siècle.

Joli pied de nez, il s‘agit maintenant de penser l’Internet, ce fameux monde que l’on nous décrivait comme « virtuel », comme un outil de retour au réel.

Régis Chatellier

4 Réponses pour “[Lift 11] La revanche du réel”

  1. Simon écrit :

    Très bonne synthèse, Régis. Merci.
    Un petit correctif: Robin Chase est bien la fondatrice de Zipcar (aux Etats-Unis) mais le service d’autopartage entre particuliers qu’elle est venue présenter à Lift c’est Buzzcar (en France).
    Zipcar c’était de l’autopartage de première génération (la voiture appartient à la société), Buzzcar c’est une autre génération d’autopartage (P2P carsharing) où c’est sa propre voiture que l’on met en partage…

  2. Regis écrit :

    Merci à toi de l’avoir lu.
    C’est corrigé pour ZipCar, BuzzCar.

    Soit dit en passant, Buzzcar est assez naze, je suis allé dessus faire un tour, on me demande d’avoir un Iphone pour utiliser le système, ce qui pour moi le disqualifie de fait.

    J’aime bien Robin Chase, mais je vais donc plutôt creuser du côté de http://www.voiturelib.com/

  3. David écrit :

    Bel article merci ! Evoqué dans l’article, on ne parle jamais assez de la philosophie slow, qui est une vrai revanche contre la culture de la vitesse, qui est génératrice de non-qualité (regardez comment le slow food est une révolte contre le fast food, synonyme de junk food)
    Concernant l’auto-partage de particulier à particulier, il y a plein d’autres sites où il n’y a pas besoin d’avoir un Iphone, je site le notre : http://fr.cityzencar.com
    David

  4. Francis écrit :

    En fait l’entrée massive de la technologie dans notre quotidien et l’exécution plus rapide des tâches diverses sont génératrices de stress et d’addiction qui nous fait prendre conscience de l’éphémérité de notre passage terrestre (toujours plus connectés = no limit à l’accès à la connaissance, au savoir, à l’autre = indigestion façon « tonneau des Danaïdes » / frustrations du jamais fini / tentation du zapping pathologique, etc…).
    Mais tout n’est pas perdu en encourageant :
    1- Les jeunes générations de « gamers » à opter pour la mobilité vertueuse récompensée par des Soleillos http://www.transportdoux.fr/lefilm/ , pour les scolaires : http://www.pedibus-babiway.com et en entreprises, au travers dee « Challenges déplacements » http://www.gotoo.fr/progotoo.html ;
    2- Le développement des villes comme SEGONZAC en Charente qui prônent la Slow Mobility en étant la 1ère ville de France labellisée « Città slow »
    http://www.slowfood.fr/segonzac-premiere-ville-lente-de-france-citta-slow
    3- La Smart Mobility, plus un concept de laboratoire :
    http://issuu.com/mmm_business_media/docs/smartmobility_03_refash_lr
    Et enfin pour les sceptiques, relire mon illustre aîné compatriote, urbaniste et philosophe rochelais Paul VIRILIO qui réfléchit depuis 30 ans à l’accélération du monde et à ses conséquences sur l’homme, l’économie, l’environnement, la géopolitique et son interprétation de la crise en 2008 déjà, en opposant à la peur absolue, l’espérance absolue et citant Churchill qui disait que l’optimiste est quelqu’un qui voit une chance derrière chaque calamité…
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2008/10/18/le-krach-actuel-represente-l-accident-integral-par-excellence_1108473_3232.html
    http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20100818.BIB5478/paul-virilio-le-critique-de-la-vitesse.html
    http://environnement.blogs.liberation.fr/noualhat/2010/07/paul-virilio-la-terre-est-devenue-trop-petite-pour-le-progr%C3%A8s.html
    Vigilance et proactivité = survie. Francis

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