[Apéruche] Afrique et TIC : de la bidouille à l’innovation

Bug organisait un apéruche ce jeudi 17 mars sur le thème : Usage des TIC en Afrique : de la bidouille à l’innovation, avec pour invités :  Jean Abbiateci, journaliste multimédia, réalisateur du Webdoc « Afriscopie : l’Afrique dans la révolution numérique », et Sylvain Maire, Fing/Imagination for People, co-organisateur du forum Innov’Africa (réseau Correspondants.org, co-organisateur du forum Innov’Africa). Une vingtaine de personnes ont répondu à l’invitation pour une rencontre rythmée par les échanges entres intervenants et public.

Sylvain Maire, présentait d’abord le Forum Innov’Africa, le réseau Correspondants et le projet Imagination For People : ce dernier projet a pour objectif de mettre en place une forme de wikipedia de l’innovation sociale. Encore en version beta, Imagination For People se donne pour objectif d’amener les gens à repérer, partager, soutenir et démultiplier les projets sociaux et citoyens les plus singuliers, les plus inventifs. Il est possible dès maintenant de s’inscrire sur le site pour suivre le projet.

Le Forum Innov’Africa permet de mettre en lumière des innovations dans les secteurs du web, et des objets : tout n’est pas que TIC, les inventions à la concours Lépine y ont également leur place, comme ce système de bidon roulant, le Q-Drum. Un bidon d’eau en forme de cylindre percé, permettant le passage d’une corde, qu’il n’est plus nécessaire de porter. Un gain de temps et de fatigue dans des villages où les enfants et les femmes sont souvent ceux qui sont chargé de la corvée d’eau. Du temps gagné pour d’autres activités.

Les communications téléphoniques sont trop chères. En partageant un abonnement, chacun peut laisser et consulter des messages sur le répondeur : un système de microblogging vocal sur mobile.

Le projet Pesinet est une ONG locale dont l’objectif est la mise en place d’un service de suivi de santé pour les enfants. Les adhérents payent une cotisation – à tarif abordable -, envoient régulièrement par SMS le suivi du poids et de certaines données au service.  Dès qu’uneanomalie est répérée dans les courbes de croissance de l’enfants :  la famille est invitée à aller consulter. « L’intérêt », précise Sylvain Maire, « est que Pesinet est un service payant, autonome, qui ne dépend d’aucune subvention publique. Il s’agit de créer un modèle économique viable ». Il ne s’agit donc pas d’une logique d’assistance, Sylvain Maire ajoute que Pesinet ne souhaite pas être mis en lumière, mais souhaite poursuivre un développement régulier et pérenne.

D’autres initiatives étaient présentées lors de ce forum :  la monnaie complémentaire Moniba, le projet Colibri au Venezuela, le SMS Wall ou le développement de Fablabs en Afrique…

Jean Abbiateci a réalisé en 2009 avec Antonin Sabot  le webdoc Africascopie, au Mali et au Sénégal. Galerie de personnages en image et en son, du vendeur de cartes téléphoniques au geek à la pointe des nouvelles technos, en passant par le réparateur de téléphone et les recycleurs de vieux ordinateurs, Africascopie propose un tour d’horizons des usages des TIC, et surtout du téléphone mobile. Jean Abbiateci rappelle que « le taux d’équipement en mobile était en 2009 d’un quart de la population alors qu’Internet restait minoritaire, accessible principalement dans les Cybercafés ».

Il ajoute qu’on est parti de zéro : « En Afrique subsaharienne, hors Afrique du sud, il n’y avait pas de système de téléphonie fixe, même les commerçants qui souhaitaient ouvrir une ligne devaient attendre parfois plusieurs mois ». Lne antenne relais est moins coûteuse qu’un système de cablage, le réseau s’est très vite déployé au Mali et au Sénégal. Le marché y est très concurrentiel, Jean Abbiateci cite les opérateurs qui se livrent une lutte acharnée, avec en tête Orange, Vodaphone, des acteurs sud africains et chinois.

Les usages partis de zéro se sont très vite déployés. Les TIC provoquent des évolutions dans la société : « Au Mali, pays très traditionnel, le téléphone et les cybercafés ont ouvert des espaces de libertés pour les femmes, qui peuvent maintenant échanger entre elles, sans être sous le regard de leur familles et de leurs maris ». Jean Abbiateci ajoute que les sites de rencontres sont, comme en Europe, très fréquentés.

Le téléphone a surtout été bénéfique pour les petits commerçants : aujourd’hui, les sms et le téléphone permettent de passer commande, le petit commerçant n’a plus besoin de quitter son échoppe pour aller chercher des clients sur le marché. Il ne prend pas le risque de perdre des clients. Jean Abbiateci ajoute que le téléphone a introduit la notion de rendez-vous, auparavant impossible. « Si le temps est de l’argent : le téléphone permet de gagner du temps et favorise donc le développement économique ».

La discussion s’engage avec le public, plusieurs thèmes sont abordés, dont certains soulèvent des questions assez larges. Au Mali, les radiologues sont tous basés à Bamako, les petites villes du nord ont les appareils, pas les compétences en radiologie. Un système d’envoi par mail des radios permet le diagnostic à distance des patients, leur évitant un voyage à la capitale. La question se pose : vaut-il mieux élargir la prise en charge à distance, ou avoir une politique de santé et d’aménagement du territoire plus cohérente. Un participant précise, il vaut mieux favoriser les échanges, même internationaux, utiliser le web pour faire venir les diagnostics de l’extérieur, plutôt que ne pas donner soigner. Ce à quoi il s’entend répondre : « certes, mais que tous les radiologues vivent dans un même pays, soignant à distance en sirotant des cocktails en face d’une plage n’est pas une solution non plus ». Télétransmission et économies de CO2 versus aménagement du territoire et formation des médecins, la question est posée. Jean Abbiateci précise, en ce qui concerne le système d’envoi des radions au Mali, « il ne s’agit que d’environ 200 cas chaque année ».

Un spectateur qui travaille sur la fracture numérique au Gabon pose la question aux intervenants : « y a t-il vraiment des innovations dans ce que vous avez vu en Afrique ? ». Les innovations sont souvent le fait de rattrapage sous le coup de la contrainte matériel : il n’existe pas de système bien implanté de paiement par carte bleue, un système de transaction financière par téléphone mobile a été mis en place en substitution. Peut-on imaginer que des choses « complètement nouvelles »  apparaitront par la suite ? Par manque d’infrastructures, les usages des nouvelles technologies se basent sur des systèmes plus léger. Google sort bientôt un nouveau smartphone qui aura vocation à permettre les micropaiements, le système Moneo lancé il y a quelques années en France a échoué, les frais à payer par les commerçant étaient trop élevés. « Au Gabon, s’il n’y a plus de solde sur le compte électricité, il est possible  de transférer les crédits de l’abonnement téléphonique vers l’abonnement électricité », un système qui n’existe pas ici. Jean Abbiateci ajoute que « les opérateurs ont bien compris qu’imposer des coûts trop élevés nuiraient au développement des usages ». Sylvain Maire précise que c’est dans cette interopérabilité que se trouve l’innovation.

Innovation par rattrapage, innovation sous contraintes matérielles, c’est certainement dans la légèreté des dispositifs qu’il faut chercher : la contrainte impose la légèreté et la souplesse, c’est cette légèreté qu’il ne faudra pas perdre lorsque le niveau d’infrastructures aura rattrapé l’Europe. Ici : c’est certainement vers là il faut tendre.

Régis Chatellier

Une Réponse pour “[Apéruche] Afrique et TIC : de la bidouille à l’innovation”

  1. Apéruche VizThink : datajournalisme et outils de visualisation | Le blog de l'association BUG – Rennes écrit :

    […] à des nouveaux projets : Jean Abbiateci est de ceux là. Celui que l’on avait déjà invité pour nous présenter son webdoc Africascopie, était cette fois convié pour ses travaux de datajournalisme, visibles sur le site […]

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